dimanche 30 novembre 2008

Le Tricheur de Ruppert et Mulot

Connaissez-vous le nombre d’or, nombre sensé représenter les proportions parfaites, la beauté, et tous ce qui régulent notre monde : de l’architecture à la forme des pétales des fleurs ainsi que dans les proportions d’une œuvre d’art. Et bien ce nombre magique, code génétique de l’univers, sens suprême de la vie, est un canular de la même manière que la voyance à la Nostradamus. A partir de données vagues ont peut interpréter tout et n’importe quoi, et d’autant plus quand ça peut servir un propos !
Et quel est mon propos justement ? Hé bien celui d’un mec qui a lu un livre dont le format est aux proportions du nombre d’or ; justement intitulé Le Tricheur

Ruppert et Mulot, les auteurs de ce livre, sont deux mecs de mauvaise fréquentation qui jurent, crachent par terre et aiment à bousculer les bonnes mœurs. Et puis en même temps s’ils peuvent remettre en cause les principes narratifs de la bande dessinée, en jurant, crachant par terre ça les fait bien marrer. Et puis si en plus on est là comme des cons, désabusés devant une remise en causes des dogmes avec un je-m’en-foutisme de bon aloi, ils profitent de ta stupeur pour te pisser sur les pompes ! En gros, se sont deux enfoirés de leurs mères !

Et le livre donc. Le Tricheur, est une enquête policière : un galeriste expose une collection de peintures. Chaque peinture représente une scène classique, remplis de symboles propres à chacune, mais ayant en commun deux protagonistes. Il s’avère très rapidement dans l’histoire, que ces deux protagonistes ont leur incarnation dans une ville d’aujourd’hui : deux petites frappes. Le récit est ainsi abordé par trois chemins différents : l’interrogatoire, La visite de la galerie et ses explications sur les tableaux, et les agissements des deux voyous que nous découvrons jouer les scènes des peintures dans la vraie vie. Un peu comme dans Usual Suspect, l’intrigue prend forme au fur et à mesure de la lecture.
Le récit est donc articulé entre ses trois phases. Plus précisément, les scènes d’interrogatoire, statiques et dialoguées, sont les retranscriptions des actions, muettes, des scènes de visite de la galerie et des agissements des deux voyous. Chaque scène est donc représentée deux fois : une fois en image, une fois en texte ; s’amusant de la définition de la bande dessinée. Le passage d’une scène à une autre se fait tout en douceur : lissant la rupture spatio-temporelle part une maîtrise ludique de l’ellipse (continuité du son, d’un geste, réponse à une question…).

L’histoire est servie par le dessin vif et haché de Ruppert et Mulot, basé sur une représentation assez minimaliste des personnages, n’empêchant pas un arrière-plan foisonnant. Les personnages sont plus iconiques (au sens de Mc Cloud) que réalistes. Avec quelques traits les attitudes, les gestes et les mouvements sont clairs, et notre imagination fait le reste, allant jusqu’à inventer les dialogues des parties muettes, avec des « Enculé on va te niquer », ou des « Qu'est que tu branles trouduc ! ». On est chez Ruppert et Mulot !
Je vous conseil aussi de jeter un coup d'œil sur leur site internet, Succursale.org, où vous pourrez retrouvez dans un combat de bras de fer, un bon nombre des auteurs de bandes dessinées qui comptent.
Ainsi que , où vous retrouverez leur projet de maison close pour le festival d'Angoulème , où ils sont une nouvelle fois sélectionnés.

Le Tricheur de Ruppert et Mulot chez L'Association
à lire aussi:
Safari Monseigneur, Panier de Singe, Gogo Club, La Poubelle de La Place Vendôme, Sol Carrelus tous chez L'Association.

vendredi 21 novembre 2008

L’enfer de Yoshihiro Tatsumi


Le Manga : voilà un genre de la bande dessinée croulant sous les préjugés : puérils, violents, traînant en longueur, sexuels, mal dessinés,… Et pour notre plus grand malheur, les étalages de nos supermarchés du rabais culturel confirment tous ces clichés !
Mais en marge des quelques manga pour ados de qualités et leurs innombrables ersatz insipides se cachent (ou sont cachés, enfin… ignorés !) quelques œuvres beaucoup plus littéraires et profondes dont L’Enfer de Yoshihiro Tatsumi fait parti.

D’abords quelques mots sur l’auteur : Tatsumi a commencé son travail dans les années 50, mais lassé des productions infantiles, il se lance sous les conseils du maître Ozamu Tezuka (sorte de Walt Disney japonais, à qui on doit entre autres le célèbre Astroboy) dans un genre plus réaliste et psychologique, le Gekiga.

L’Enfer regroupe donc des nouvelles parues au Japon dans les années 70, ici édité par la très pointilleuse édition Cornélius.
L’enfer nous raconte la misère humaine, nous décrivant des drames auxquels les protagonistes ne peuvent échappés. Protagonistes tour à tour victimes et coupables de leurs destins tragiques. Tastumi nous présentent les vices et les faiblesses mais sans sentimentalisme ni caricature ni grotesque.
Au fil de petits contes noirs, on rencontre le meurtre, le jeu, l’adultère, la solitude, l’exclusion, la misère sociale dans des mises en scènes implacables où la chute est tragique et inéluctable. Tatsumi aime à nous rendre complice: devant une histoire dont la fin est évidente, dont les rouages nous sont connus, nous laissant contemplant, impuissant, redoutant, venir le tragique, confirmant que l’Enfer est toujours pavé de bonne intentions.
Mais nous ne tombons dans la sensiblerie et la niaiserie, Tatsumi ne s’étale jamais, restant descriptif, ne jugeant pas, nous laissant le soin d’être compatissant ou accablant.

Preuve (ou pas…) de la qualité du livre, L’Enfer de Tatsumi est sélectionné pour le prix du Patrimoine au prochain Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême.

samedi 8 novembre 2008

Des Images Pleins Les Oreilles


Trop souvent habitué à confondre New York avec son Borrow hyper-actif, hype, friqué, financier et aujourd’hui suicidaire de Manhattan, qu’on à un moment cru que la Grande Pomme était culturellement morte. On l’a déjà cru, mais c’est justement un de ces visages que les administrations de la City voulait nous cacher, qui s’est révélé être le noyau du renouveau culturel de NYC : Dans les années 80 le Hip Hop éclate à la face du monde. Aujourd’hui, à l’heure ou les médias ont les yeux sur un Wall Street récoltant les fruits de son cynisme, calmement, traversons le Brooklyn Bridge, arrêtons nous à Sun Set Park et, casque sur les oreilles, écoutons le nouvel album de TV On The Radio.
TV On The Radio (TVOTR) en est à son troisième album. Après un surprenant Desesperate Youth, Blood Thirsty Babes en 2004 et le très bon Return To The Cookie Mountain, confirmant la créativité et la pate personnelle du groupe en 2006, voilà Dear Science, troisième opus du combo.
On sait où on va, durant deux albums, TVOTR nous avait préparé à cette musique à base de rythmiques et de cuivres percutants malgré leur souvent discrétion. On n’est donc pas dépaysé, avec ce nouvel album, on retrouve ces superpositions de couches rythmiques (percussions, handclap, basses, cuivres), mais aussi ce bourdonnement (guitares, générateurs de basses) omniprésent, rappelant les enregis
trements des premiers sons analogiques et saturés. On est donc en terrain connu, mais le paysage de TVOTR n’a pas pour autant fini de nous révéler de jolies clairières ou forêts sombres que TV On The Radio est capable de faire apparaître par les hauts parleurs de notre casque!
La musique de TVOTR remplit l’espace sonore des graves jusqu’aux aigues de la voix de Tunde Adebimpe, chanteur du groupe. Ceci peut rendre leurs compositions quelque peu hermétiques au premier abord, surtout sur les deux premiers albums. TVOTR l’a bien compris et a érigé en guide dans cet embrouglia de sons plus ordonnés qu’il n’y parait, la voix du chanteur décidé à se laisser aller à ces penchants de chants mélodiques. Ainsi, le son brut, le fracas des rythmiques sont balancé par la douce voix de Tunde Adebimpe appuyé de chœurs naïfs et de nappes de cordes. Dans ces méandres sonores, où le relief d’une superposition musicale, nous apparaît, non pas à l’ajout de la couche musicale, mais plutôt lorsqu’une autre couche musicale disparait, donnant ainsi sens et raison à une sensation éprouvée à l’audition mais non identifiée, nos sens sont sollicités, voulant décrypter ces enchevêtrements rythmiques, faire le point sur les images sonores de TVOTR, mis au défit par ce bloc massif et musical. Et finalement, le décodage est ludique, addictif et réjouissant : la musique de TVOTR dévoile sa richesse au fur et à mesure des écoutes, découvrant des sons, des structures, des mélodies caché dans les coins les plus sombres de leur composition.
Ok ! Voilà pour le concept « TVOTR », mais quand est-il de la forme ? Essayons de leur plaquer des étiquettes sur le front : On va dire que TVOTR est une sorte de Noise-Retro-Funk avant gardiste ???.... Pas super convaincant. On est pourtant bien sur des bases noise rock sur certain morceau (Halfway Home, Shout Me Out), mai aussi dans une tradition funk (les excellents Dancing Choose, Golden Age et Red Dress), voire même pop (Stork and Owl, Family Tree ou Love Dog). Enfin pop, pas dans le sens mélodie sirupeuse, gluante et collante, mais plutôt dans le sens mélodie éclairée, varié, douce et orchestré. Mais TVOTR sait aussi exploser les codes, et c’est ce qu’il fait de mieux, nous réservant pour la fin deux superbes pièces (DLZ et Lover’s Day), où les genres sont abolis, les styles flous, passant du brut des rythmiques à la douceur de chœurs, ou à un chant montant en tension, et à une orchestration de cuivre et bois et cordes rappelant, dans la richesse des mélodies, la pop orchestré du dernier Cinematic Orchestra, Ma Fleur ; Pas facile de se faire opinion écrite de TVOTR tant les qualificatifs peuvent être contradictoires et imprécis !
Ainsi, avec ce Dear Science, TV On The Radio enfonce le clou, affirme sa différence musicale, tout en rendant honneur à ses influences. TV On The Radio poursuit ses explorations
en définissant plus précisément son son sans oublier de gagner en accessibilité, faisant mentir l’adage qui veut qu’une avant-garde se doit d’être dure et difficile d’accès. Alors, un seul conseil, munissez-vous d’un bon casque (condition indispensable), dépassez légèrement la limite sonore que vous vous autorisez, appuyer sur play et laissez vous aller…. Et merci la Science ! TV On The Radio en écoute ici et