dimanche 29 novembre 2009

Dieu En Personne de Marc-Antoine Mathieu

ça commence par un recensement civil. Longue file d’attente patiente et docile. Chacun attend son tour pour donner nom, prénom et matricule à un homme austère, remplissant à la plume son registre de ses précieuses informations.

-« ha c’est intéressant. Ainsi si vous n’avez ni numéro de matricule, ni inscription au service de sécurité »

« ... c’est à croire que vous n’existez pas !»

-« A défaut de papier d’identité j’ai une identité : Dieu DIEU. Mais en général on m’appelle DIEU tout court »

Voilà comment commence le nouveau livre de Marc-Antoine Mathieu : Dieu En Personne.

Après la surprise et l’incrédulité, il a bien fallut s’en assurer. Test psychologique, question scientifique, et révélation métaphysique. Pas de doute il est parmi nous, Dieu en personne.

E puis les plaintes ont commencés ; Dieu, créateur du Monde et de toute chose, a évidemment fait des insatisfaits...

S’ensuit procès, avocats, frais d’avocats... Mais Dieu est insolvable, alors on doit créer une marque « DIEU » ou DIEU ou peut être DIEU. Marketing, produits dérivés, sous-culture, cotation en bourse.... Le schéma classique de notre société de consommation.

Marc-Antoine Mathieu décrit ainsi notre société consumériste, comment elle s’accapare toute chose, concept idée pour en faire un produit de consommation, démontrant que le crédo actuel n’est pas de croire pour être mais bien de consommer.

En plus d’observer notre société de consommation à l’œuvre, Marc-Antoine Mathieu propose toute une réflexion sur Dieu en lui-même. Dieu en tant que concept, Dieu entant qu’être suprême, Dieu impulsion, Dieu causalité...

L’histoire est portée par le dessin et l’univers de Marc-Antoine Mathieu. Dans des planches blanches, grises et au noir intense, l’univers de Marc-Antoine Mathieu sied très bien au récit. Cité en ordre, architecture gigantesque tirée à la règle, loi, ordre règne sans partage dans l’austérité et le non-sens, très proche de l’univers d’une autre de ses excellentes séries « Julius Corentin Aquesfactes ».

Dieu en Personne est un livre dense, poussant la réflexion à chaque page, où le moindre dialogue est riche de sens, Dieu en personne est une lecture dont on ne ressort pas indemne, les neurones stimulés. Et ce qui ne gâche rien, le tout est servi par de très planches au noirs intense dans lequel sombrer.

Dieu en Personne de Marc-Antoine Mathieu chez Delcourt

samedi 21 novembre 2009

The Music Scene par Blockhead

1996, le Hip Hop commence à se vautrer dans la fange, il a retourné sa veste et a rangé aux placards ses aspirations originelles, pris entre la caricature et le baroque. Heureusement, un vent nouveau quoique glacial, se lève sur le monde la musique : Endtroducing de DJ Shadow sort chez Mo’Wax. A l’aide de samples de morceaux dont certains au statu de trépassé, DJ Shadow sonne l’avènement d’un nouveau genre de musique : l’Abstract Hip Hop. Rythmique à 90 BPM, envergure orchestrale, composition cérébrale, beats déstructurés et surtout pas d’égo surdimensionné pour se la ramener ! Le Hip Hop se prend une claque salvatrice et vois son champs des possibilités s’ouvrir. (Notons tout de même qu’en 95 The Herbaliser sort aussi The Remedies…de quoi alimenter les débats sur la paternité de l’Abstract Hip Hop...).

Depuis beaucoup se sont frottés au genre, et beaucoup auront cru qu’il suffisait de piocher dans la discothèque de papa-maman et d’aligner les samples pour jouer au chef d’orchestre. Très peu y arrivèrent... : The Herbaliser, Shadow, RJD2, et Blockhead.


C’est donc de ce dernier dont je vais vous parler et de son 4ème album : The Music Scene (It's Raining Clouds en écoute sur le myspace).

Blockhead s’est fait remarqué en produisant pour des MC New Yorkais dont Aesop Rock pour l’excellent Labor Days, et s’est vu enrôler dans le Dojo Ninja Tune pour des albums uniquement instrumentaux. Tout commence avec Music By Cavelight dont le titre ne sera pas démenti par le contenu : musique évocatrice d’image, onirisme, ombre et lumière, hip hop et downtempo. Downtown Science confirmera et Uncle Tony’s Coloring Book surprendra par les sentiers plus dansants empruntés.


Blockhead nous revient donc avec The Music Scene. Dès les premières mesures on retrouve le sens de la composition de Blockhead : beats hip hop, ambiances sombres et mélancoliques, mais présentant toujours quelques touches de lumière. Des morceaux évolutifs aux thèmes variés, multiples et mouvants, changeant les ambiances et confrontant les sensations. Vous savez, le bord de mer, un lendemain de tempête, le vent est tombé, les vagues grondent encore de la violence de la veille, le ciel est gris, mais le soleil perce par endroit, révélant les couleurs. On a froid mais les rayons du soleil réchauffent…

En effet la musique de Blockhead se manifeste par ce don pour la contradiction, cette faculté à faire cohabiter la lourdeur d’une rythmique saturée, la tristesse d’un violon, et de douces envolées de cuivres ou de chœurs (le poignant Daily Routine, sur fond d’engueulade de toxicos ou encore Which One Of You Jerks Drank My Arnold Palmer et Attack The Doctor).

Alors oui, on à le droit à « some depressive shits » mais pas uniquement. En effet, l’aventure Uncle Tony a permis à Blockhead d’expérimenter des compositions, certes moins riches, mais plus joyeuses et dansantes. Il a ainsi capitalisé cet apprentissage pour élargir sa palette de productions : The Music Scene nous propose aussi des morceaux plus enjoués tel que Tricky Turtle, The Prettiest Sea Slug ou Pity Party.


Une autre des caractéristiques de Blockhead et qui s’affirme d’autant plus avec Music Scene, est ce côté intemporel. A la fois musique poussiéreuse, (le son du vinyle qui craque) et moderne (le downtempo, les claviers électro). Cet aspect est renforcé par ces ambiances mélancoliques qui planent au dessus de l’ensemble du disque (même au-dessus des morceaux plus joyeux, je pense à Hell Camp, avec ses amples de gamins autour d’un feu de camp, ou Four Walls avec son refrain AutoTune (ça ! ça aurait pu être catastrophique…)).

Intemporelle aussi grâce à cette invitation au voyage (très spleenienne finalement…) qu’est la musique de Blockhead. D’une part dans le temps, ce qui est propre à la mélancolie. Se côtoie nappes de violons classiques, chœurs de comédie musicales 50’s ou religieux (Attack The Doctor) samples de chanteurs soul, guitare folks, électriques ou pshyché (Farewell Spaceman), cuivres de jazz… Comme dans le morceau d’ouverture It's Raining Clouds qui commence par un downtempo soutenu a coup de scratch, puis délayé dans des chœurs, une flute sautillante et un clavecin pour s’en aller vers des cuivres et une clarinette tristement joyeuse pour finir sur un drum’n bass sous prozac…

Mais ce voyage a aussi lieu sur le globe avec par exemple Tricky Turtles commençant par un afrobeat, nous emmenant sans décalage vers une musique orientale ou sous la mer avec The Pretiest Sea Slug.


The Music Scene assoie ainsi Blockhead comme producteur essentiel, maniant le sampling avec talent, subtilité et inspiration, là où généralement les coups de ciseaux et de colles sont criards. Blockhead s’inscrit plus encore dans le cercle des musiciens qui savent construire et décliner un univers propre et immédiatement reconnaissable, foisonnant et stimulant sans jamais tomber dans la redite.


L'album est actuellement seulement disponible en version numérique un peu partout mais surtout directement sur le site de Ninja Tune et sort en version CD et vinyle début 2010.

mercredi 11 novembre 2009

Pachyderme de Frederik Peeters

Me voilà bien emmerdé ! Pachyderme de Frederik Peeters est une des bandes dessinées qui m’a le plus emballée cette année (je ne serais pas surpris de la voir au palmarès d’Angoulême). Et je ne sais pas comment en parler !

Ca serait un truc obscur, un truc d’avertis, d’initiés, qui demande une culture bande dessinée conséquente, pleine de références ou des connaissances théoriques sur les jeux autour de la forme. Le problème serait réglé !

Pachyderme n’est évidemment pas dénué d’intérêt sur les points que je viens de soulever (la forme Bande dessinée par exemple, le dessin et les couleurs), mais ce n’est pas uniquement ça. Frederik Peeters fait preuve tout au long de sa bibliographie d’un sens de l’accessibilité : que se soit l’autobiographique Pilules bleues, la science fiction de Lupus, ou le réalisme de R.G., les livres de Peeters sont « faciles ». J’entends par facile cette capacité à mettre entre les mains du grand public, de tout un chacun, une discipline artistique sans la dénaturer. Je pense également à Manu Larcenet qui, lui aussi sait montrer les possibilités de son média de prédilection.

Pachyderme ne déroge pas.

Tout commence, dans un Genève d’après guerre, par Carice, notre héroïne, bloquée sur la route à cause d’un pachyderme qui a été renversé… Son mari est à l’hôpital et elle veut le rejoindre.

Le lecteur est ainsi prévenu, le récit sera fantastique ou sur une échelle de rationalité différente : réel, illusion et rêves sont entremêlés.

Il va être difficile d’en dire plus sans gâcher le plaisir de lecture. Car à l’instar d’un film de David Lynch, l’avancé dans le récit se fait à l’aveugle, on y croise des signes, des symboles, qui n’ont pas plus de sens pour les protagonistes que pour le lecteur (quoique le « P » manquant à Carice pour faire Caprice est déjà un début…).

Mais contrairement à un film de Lynch, et grâce au support bande dessinée lui-même, le décodage est aisé, on peut revenir en arrière, confirmer des choses croisées et comprendre leur signification. Frederik Peeters nous balade ainsi entre récit d’espionnage, introspection, auto-psychanalyse, dans un récit à tiroirs entre passé et présent, entre réalité et songe.

Alors voilà, on referme le livre, on a compris des choses, on a réussi à déchiffrer quelques symboles, des réponses ont surgi grâce à un jeu subtil de signes qui se répondent, d’indices dissimulés ici et là. Mais le voile n’est pas entièrement levé, on ressent une étrange sensation, finalement très proche de la couverture du livre : un vertige figé, et on a qu’une seule envie c’est d’y replonger… à la recherche de toutes les significations, même si l’on sait, que dans un rêve, il y a toujours une part d’impénétrable et que l’irrationnel est en soi une réponse…

dimanche 8 novembre 2009

Iswhat ?! is back !

Une des composantes du Hip Hop est le freestyle : un beat, et un MC qui improvise. Bien sûr, ce dernier a quelques phases bien senties qu’il a eu le temps de répéter devant sa glace une brosse à cheveux dans la main ! Mais la création instantanée, l’emballement de phrases sorties de la bouche alors qu’elles ne sont encore qu’images floues dans l’esprit sont des composantes de cette pratique bien réelles. Finalement tout ceci est proche du jazzman qui improvise à partir de thèmes écrits.
Ceci pour parler du troisième album de Iswhat ?!, Big Appetite.

Iswhat ?! est un groupe situé au carrefour du jazz et du hip hop. De part les membres qui le compose, originellement Napoleon Maddox, MC beat Boxeur et J. Walker saxophoniste de jazz, et de part les prestations live qu’ils proposent : festivals de jazz (notamment au côté de Archie Shepp) et salles de musiques actuelles. Après un premier album « You figure it out » sentant bon les séances d’improvisation, la spontanéité et la sincérité autour de ces deux disciplines, ramenant le hip hop vers ses origines avec fraicheur, Iswhat ?! avait confirmé son talent et son engagement avec « The life We chose », peut-être moins spontané et plus produit, mais réservant son lots de pépites telles que la reprise de Kashmir de Led Zep, et les excellents « Caskets », «Profile » et l’éponyme « The Life We Chose ».
Et c’est donc avec confiance et sérénité qu’on aborde ce troisième opus « Big Appetite ». Confiance et sérénité n’étant évidemment pas synonyme d’absence de surprise ! Car même si l’essence est la même, même si les protagonistes gravitent autour du groupe depuis les débuts (le batteur Hamid Drake, le contre bassiste Joe Fonda, le saxophoniste CoCheme’a), Iswhat ?! nous propose du neuf. Toujours jazz, toujours hip hop, toujours ces thèmes de cuivres envoutants, toujours ce groove. Mais l’ajout d’instrument comme le clavier sur « Homestead », d’une basse électrique (due au producteur Killa O, dorénavant membre à part entière du groupe) comme sur « Fanta », de samples (« Breeze », « Hungry ») et de scratch sur la plus part des morceaux, permettent d’appuyer le face Hip Hop de Iswhat ?!. Mais le jazz est toujours présent : les rythmiques riches, serrées mouvantes mais en douceur de Hamid Drake sont des vraies terrains de jeux pour les mélodies et les envolées de cuivres de J. Walker ou CoCheme’a, elles servent de labyrinthes aux phases de MCing de Napoleon Maddox et de ses invités (notamment Boogie bang et son flow qui « pop » les syllabes rappelant J-Live) dans lesquelles ils se faufilent avec classes et talent. Tout ceci nous donne droit à des purs moments de plaisir avec « Cake », « Luxury », « dig », « Hungry », parfaites illustrations du son Iswhat ?!.
Ainsi, avec le recul, « The live We Chose » pouvait hésiter entre le Hip Hop et le Jazz ; avec Big Appetite, le chemin est clairement tracé et Iswhat ?! a décidé d’appuyer fort sur les deux disciplines à la fois, rendant hommage à la Musique, de Miles Davis à Public Enemy en passant évidemment par Archie Shepp et KRS-One. Iswhat ?! affirme son identité propre et confirme son rôle de groupe majeur à la fois pour le Hip Hop et pour le Jazz. Big Appetite ?!
Mangez-en ! Et que la musique aille de l’avant !!!!!!

Quelques morceaux en écoute sur le Myspace d'Iswhat?!

Un concert à Glaz'Art Paris (Certains s'y reconnaitront....) filmé par Grandcrew

Discographie:
You Figure It Out
The Life We Chose
Phat Jam in Milano With Archie Shepp
Big Appetite