Blain est un auteur de bande dessinée de talent. Il sait se plonger dans les exercices de styles et prendre à contre pied les codes des genres : Dans Isaac le Pirates, il raconte les aventures d’un peintre embarqué sur un navire de forbans, dans Gus, il insuffle une dose de romantisme au Western.
Pour sa nouvelle série, Blain s’associe à Lanzac. Non pas que le dessinateur est en panne d’inspiration, mais pour s’atteler à ce projet, quoi de mieux qu’un homme de l’intérieur pour raconter les coulisses.
Quai d’Orsay raconte ce qui se passe derrière les hautes portes du Ministère des Affaires Etrangères. On suit Arthur Vlaminck, fraichement embauché au ministère pour s’occuper du langage. Entendre par là, la préparation des discours... De manière faussement hypocrite, on reconnaît bien vite que dernière le nom de son employeur, Alexandre Taillard de Vorms, se cache le ministre Dominique de Villepin.
Un des intérêts de ce livre est évidemment l’immersion au sein d’un cabinet ministériel, l’observation du fonctionnement de la politique. On reconnaît donc derrières les événement de l’Oubanga et du Lousdem, le traitement des crises en Côte d’Ivoire et en Irak. On y retrouve aussi les petites guerres intestines entre égos ou les manœuvres relationnelles pour avoir les faveurs du prince. Mais aussi le dévouement des membres du cabinet, leur abnégation de leur vie privée.
Sous les anecdotes de Lanzac, Blain nous dessine un personnage de Alexandre Taillard de Vorms plein de vie. Par le texte, tout le lyrisme du personnage, la rhétorique, l’emportement et la passion de l’homme politique sont là : très vite on ne peut s’empêcher de mimer dans notre tête la voix de Dominique de Villepin. Mais, le livre n’est pas une apologie de Dominique de Villepin, et ces qualités dont il a su faire preuve face au média se révèlent aussi, derrière les portes des bureaux du ministère, être ridicules. Ses théories versatiles, mouvantes aux grés des visiteurs de Alexandre Taillard de Vorms, et ses emportements lyriques drôles pour le lecteur s’avèrent pour ses collaborateurs, contraignants , fatiguants et énervants car toujours adéquates avec la lucidité géopolitique du personnage !
Le dessin super expressif de Blain donne une touche de burlesque à l’ensemble : les proportions du personnage changeantes et ses mains gigantesques souligne son charisme ; les portes qui claquent, les soupirs lâchés, les abus d’onomatopées donne une dimension théâtrale et une dimension Boulevard pleine d’humour à l’ensemble.
Derrière ses chroniques diplomatiques, on trouve aussi des scènes dont l’intention est uniquement l’humour : l’aparté sur sa manie des stabilos, ou encore la scène sur le rythme des récits de Tintin. Ses anecdotes sont évidement là pour souligner les traits du personnage.
Quai d’Orsay est une excellente lecture, très drôle, et passionnante. L’utilisation de Dominique de Villepin comme personnage de Boulevard, apolitique et exagéré, donne corps à l’histoire et nous montre finalement, lui et la politique, très proche de notre imaginaire : un théâtre de guignols plein de gesticulations, de coups de bâton, de grandes tirades et d’éclats de rire.
Quai d'Orsay de Blain et Lanzac chez Dargaud