1996, le Hip Hop commence à se vautrer dans la fange, il a retourné sa veste et a rangé aux placards ses aspirations originelles, pris entre la caricature et le baroque. Heureusement, un vent nouveau quoique glacial, se lève sur le monde la musique : Endtroducing de DJ Shadow sort chez Mo’Wax. A l’aide de samples de morceaux dont certains au statu de trépassé, DJ Shadow sonne l’avènement d’un nouveau genre de musique : l’Abstract Hip Hop. Rythmique à 90 BPM, envergure orchestrale, composition cérébrale, beats déstructurés et surtout pas d’égo surdimensionné pour se la ramener ! Le Hip Hop se prend une claque salvatrice et vois son champs des possibilités s’ouvrir. (Notons tout de même qu’en 95 The Herbaliser sort aussi The Remedies…de quoi alimenter les débats sur la paternité de l’Abstract Hip Hop...).
Depuis beaucoup se sont frottés au genre, et beaucoup auront cru qu’il suffisait de piocher dans la discothèque de papa-maman et d’aligner les samples pour jouer au chef d’orchestre. Très peu y arrivèrent... : The Herbaliser, Shadow, RJD2, et Blockhead.
C’est donc de ce dernier dont je vais vous parler et de son 4ème album : The Music Scene (It's Raining Clouds en écoute sur le myspace).
Blockhead s’est fait remarqué en produisant pour des MC New Yorkais dont Aesop Rock pour l’excellent Labor Days, et s’est vu enrôler dans le Dojo Ninja Tune pour des albums uniquement instrumentaux. Tout commence avec Music By Cavelight dont le titre ne sera pas démenti par le contenu : musique évocatrice d’image, onirisme, ombre et lumière, hip hop et downtempo. Downtown Science confirmera et Uncle Tony’s Coloring Book surprendra par les sentiers plus dansants empruntés.
Blockhead nous revient donc avec The Music Scene. Dès les premières mesures on retrouve le sens de la composition de Blockhead : beats hip hop, ambiances sombres et mélancoliques, mais présentant toujours quelques touches de lumière. Des morceaux évolutifs aux thèmes variés, multiples et mouvants, changeant les ambiances et confrontant les sensations. Vous savez, le bord de mer, un lendemain de tempête, le vent est tombé, les vagues grondent encore de la violence de la veille, le ciel est gris, mais le soleil perce par endroit, révélant les couleurs. On a froid mais les rayons du soleil réchauffent…
En effet la musique de Blockhead se manifeste par ce don pour la contradiction, cette faculté à faire cohabiter la lourdeur d’une rythmique saturée, la tristesse d’un violon, et de douces envolées de cuivres ou de chœurs (le poignant Daily Routine, sur fond d’engueulade de toxicos ou encore Which One Of You Jerks Drank My Arnold Palmer et Attack The Doctor).
Alors oui, on à le droit à « some depressive shits » mais pas uniquement. En effet, l’aventure Uncle Tony a permis à Blockhead d’expérimenter des compositions, certes moins riches, mais plus joyeuses et dansantes. Il a ainsi capitalisé cet apprentissage pour élargir sa palette de productions : The Music Scene nous propose aussi des morceaux plus enjoués tel que Tricky Turtle, The Prettiest Sea Slug ou Pity Party.
Une autre des caractéristiques de Blockhead et qui s’affirme d’autant plus avec Music Scene, est ce côté intemporel. A la fois musique poussiéreuse, (le son du vinyle qui craque) et moderne (le downtempo, les claviers électro). Cet aspect est renforcé par ces ambiances mélancoliques qui planent au dessus de l’ensemble du disque (même au-dessus des morceaux plus joyeux, je pense à Hell Camp, avec ses amples de gamins autour d’un feu de camp, ou Four Walls avec son refrain AutoTune (ça ! ça aurait pu être catastrophique…)).
Intemporelle aussi grâce à cette invitation au voyage (très spleenienne finalement…) qu’est la musique de Blockhead. D’une part dans le temps, ce qui est propre à la mélancolie. Se côtoie nappes de violons classiques, chœurs de comédie musicales 50’s ou religieux (Attack The Doctor) samples de chanteurs soul, guitare folks, électriques ou pshyché (Farewell Spaceman), cuivres de jazz… Comme dans le morceau d’ouverture It's Raining Clouds qui commence par un downtempo soutenu a coup de scratch, puis délayé dans des chœurs, une flute sautillante et un clavecin pour s’en aller vers des cuivres et une clarinette tristement joyeuse pour finir sur un drum’n bass sous prozac…
Mais ce voyage a aussi lieu sur le globe avec par exemple Tricky Turtles commençant par un afrobeat, nous emmenant sans décalage vers une musique orientale ou sous la mer avec The Pretiest Sea Slug.
The Music Scene assoie ainsi Blockhead comme producteur essentiel, maniant le sampling avec talent, subtilité et inspiration, là où généralement les coups de ciseaux et de colles sont criards. Blockhead s’inscrit plus encore dans le cercle des musiciens qui savent construire et décliner un univers propre et immédiatement reconnaissable, foisonnant et stimulant sans jamais tomber dans la redite.
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