Quand je repense à Broken Flower de Jim Jarmush, ce n’est pas la prestation de Bill Murray (pourtant pleine de malice et de mélancolie) qui me revient à l’esprit, mais belle et bien la BO qui vient trotter dans ma tête ; des mélodies épurées, riches et atypiques évoquant toute sorte de styles musicaux (reggae, funk, orientale, jazz) mais sonnant comme aucun : le jazz éthiopien.
En plus de prouver une nouvelle fois qu’une démarche artistique est encrée dans une histoire, et se référence à d’autres œuvres et artistes, le film de Jarmush aura donc permis de faire (re)découvrir le jazz éthiopien de Mulatu Astatke et les classiques que sont Yekermo Sew et Yegelle Tezeta (composés entre 1972 et 1974). (Je me dois de citer aussi les compilations « Ethiopiques » qui ont compiler le travail de Mulatu Astatke et de bien d’autres musiciens des années swinging Addis).
En écoute sur son myspace
Strut, un label allemand a eu la bonne idée d’illustrer l’idée que je viens d’évoquer en créant des rencontres entre des artistes dont le talent n’est plus à prouver et d’autres, plus contemporain, se revendiquant d’influence : la série des Inspiration Information (Amp Fiddler et Sly And Robbie ou Ashley Beedle et Horace Andy).
Je vais donc vous parler du 3ème volume de cette série, la rencontre entre Mulatu Astatke et The Heliocentrics. The Heliocentrics est un groupe anglais composé de musiciens venant d’horizon différents mais ayant comme point commun de jouer du jazz mais hors des sentiers battus des clubs de jazz (quoique, il ne reste que Télérama pour croire que le jazz se joue encore dans les clubs de jazz…) : On les retrouve dans les sphère de Madlib (sur Shade of Blues), DJ Shadow, The Herbaliser, Connie Price and the Keys Stones… The Heliocentrics fait une musique aux confins du Hip Hop, du (free) jazz de l’électro, du psyché, de la musique ethnique. Et tout ça en gardant à l’esprit la référence de leur nom au travail de Sun Ra, pianiste de jazz « solaire »…
et à télécharger ici (clic droit enregistrer sous)
Alors qu’on aurait pu craindre un choc des générations, la magie opère, et Mulatu Astatke and The Heliocentrics nous servent une musique alchimique, où les productions rythmiques et urbaines des anglais rehaussent les mélodies chaudes, simples et enivrantes de la musique éthiopienne. Les tensions de The Heliocentrics retombent sous les ondulations des cuivres et du vibraphone éthiopiens, hypnotisant comme des mirages de chaleur, comme quand enfin tombe la pluie et l’orage sur le béton chaud des villes, larguant cette électricité qu’on redoutait et souhaitait à la fois (la reprise de Dewel, Addis Black Widow). Ils nous donnent des compositions mouvantes, n'ayant pas peur de se détourner de la construction des mesures précédentes en repartant vers d'autres directions, quittant brusquement une ritournelle et des percussions éthiopiennes pour une rythmique Hip Hop et des guitares saturées, cela sans dénaturer le paysage; comme les immeubles d'Addis Abeba appairassant au détour d'une dune après un périple dans le désert.
Par respect pour les anciens, on dira Mulatu And the Heliocentrics, pourtant quand on se penche plus attentivement, on ne peut s’empêcher de trouver Mulatu assez discret, voire fantomatique : peut-être parce qu’il n’intervient pas dans la composition et la performance de tous les morceaux. Mais son nom ne pourrait être retiré tant sa musique hante chacune des mesures de l’album (Phantom Of The Panther ou Fire In The Zoo par exemple). Mulatu ramène ainsi les pieds de The Heliocentrics sur terre et les empêche de se perdre dans une musique trop expérimentale qui pourrait en devenir hermétique et austère.
Ainsi Inspiration Information Vol.3 naviguent entre les sons expérimentaux de Heliocentrics et les mélodies entêtantes et chaleureuse du jazz de Mulatu Astatke explosant le carcan de la prise direct que le jazz croit être sa liberté en s’offrant un travail de post production de qualité, retravaillant les sons, faisant sonner les guitares comme des barbelés et les flutes éthiopiennes comme des instruments amplifiés, et ceci entre un solo de violoncelle désarmant, une harpe chinoise ou des nappes de clavier Moog.
Mulatu Astatke And The Heliocentrics nous servent ainsi un grand disque s’inscrivant dans un large contexte de l’histoire de la musique, nous montrant que pour aller de l’avant il faut connaître l’histoire de son domaine, affirmant qu’hommage et collaboration ne riment pas nécessairement avec répétition.
En video Mulatu Astatke and the Heliocentrics reprenant Yekermo Sew et Yegelle Tezeta.
1 commentaire:
J'ai été les voir à Genève il y a une semaine et, pardonnes moi cet affront cher JM, mais il n'y a pas de mot pour decrire cette musique...mais bien essayé!
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