dimanche 23 août 2009

La Clinique

Le bureau, l’école, l’église, (le château), sont des lieux dont le statut institutionnel a supplanté leur nature première de bâtiment, leur conférant ainsi une aura étrange qui fait que l’évocation simple de leur nom fait naître en nous un sentiment de soumission : des organisations aux lois surnaturelles échappant à la logique, auxquelles nous nous exécutons et ceci sous une autorité arbitraire mais indiscutable.
Vincent vanoli y rajoute La Clinique.
Vanoli, dans un récit à la première personne, nous raconte l’histoire de Buddendorf. Ce monsieur tout-le-monde nous fait part de ses réflexions à la suite d’une convocation à La Clinique tout a fait étrange. Serait-il malade ? Lui qui se sent en bonne santé ! Serait-il atteint d’un mal dont il ne sentirait pas les symptômes ? Et de quelle nature est ce mal ? Il ne voit qu’une chose, un jour il a eu un comportement non conforme, une aspiration quelque peu déviante par rapport à la société que Vanoli nous dessine. Mais tellement sans conséquence !...
Nous suivons donc ce Mr Buddendorf rejoindre cette institution sans trop broncher.
Ainsi dans une ambiance kafkaïenne, à la fois pour le sujet traité et pour le dessin de Vanoli, on trouve notre pauvre Buddendorf dans un univers irrationnel, où pendant qu’un officiel le convainc de la vérité du mal et de la nécessité de son isolement, des hommes font rouler des pierres en haut d’une montagne alors qu’un téléphérique rouille à coté par manque d’utilité…

Dans cette clinique où l’absurde règne, on y voit une organisation capable d’écraser les aspirations d’un homme dans un conditionnement lent et pernicieux dont la légitimité est son seul statut institutionnel et donc d’officiel. Statut qui permet d’obtenir tout consentement et annihile la moindre prise de recul : Mr Buddendorf ne réfléchie plus…
Cette ambiance oppressante est servie par les dessins sombres et charbonneux de Vanoli, nous plongeons dans des décors vosgiens nous présentant des horizons bouchés par les montagnes et les sapins. Et l’absurdité de la situation de ce pauvre Buddendorf se manifeste par ce dessin expressionniste ou les perfectives sont faussées, les visages déformés, où les hachures détournent notre regard et l’absorbent vers des points de fuite.
Vanoli propose un livre dérangeant où la clinique rappelle sombrement le Château de Kafka, où la nature humaine, fragile et aliénable, a peu de chance face à l’institution œuvrant soi-disant pour sa plénitude. Mais où, on contraire de Buddendorf, l’absence de réponse nous amène à nous questionner : le livre refermé, le sens et le propos peuvent nous échapper, mais les symboles prégnant au long des pages (ces hommes poussant des pierres nous rappelant le supplice de Sisyphe) une fois décantés, apportent des réponses : Sommes-nous face à la théorie contraire d’Orange Mécanique, et ne pouvons espérer que le naturel revienne au gallot ? Ce livre est-il le remède de ce mal qui ronge les Buddendorfs que nous sommes ?...

dimanche 16 août 2009

Willie Isz's comming!

La schizophrénie est un symptôme récurrent dans le monde du Hip Hop (Madlib, pour n’en citer qu’un), et la voilà qui frappe encore avec cette sortie de Willie Isz : Cette entité est composée du producteur-rappeur Jneiro Jarel et du Rappeur Khujo Goodie issu du Goodie Mob d’Atlanta. Et pourquoi schizophrène ? Parce que nouveau projet de Jneiro Jarel l’homme aux multiples alias : Dr Who Dat ?, Shape Of Broad Mind (groupe composé de 7 personnes dont 4 alter-ego de Jneiro Jarel), et aujourd’hui Willie Isz.

La schizophrénie, pour aller vite, se traduit par une fragmentation de l’esprit pouvant amener à des manifestations de personnalités différentes. On s’attend donc, connaissant le J.J., pour qui la multiplication des alias n’est pas une coquetterie, à ce qu’il batte des sentiers nouveaux. Et voilà la première surprise de ce Georgiavania : J.J. emmène le flow grave, rageur, sec et rythmé de Khujo Goodie sur l’autoroute du mainstream en allant retourner les codes du Hip Hop du Sud USA (Crunk, dirty South) et du R’nB… Néanmoins terrain nouveau pour le producteur !

Alors que le gros mot « mainstream » est lâché, le doute et le scepticisme pourraient pointer et nous permettre de nous complaire dans la critique des producteurs « vendant leur cul aux majors pour des ronds ». ça aurait été trop facile ! Car en effet, en plus d’être signé chez l’indépendant Lex, un temps affilié au label électro Warp (Squarepusher, Prefuse 73, ou aujourd’hui, Clark, Bibio et Pivot), ce Georgiavania ne se vautre pas dans la simplicité.
On pense ici un peu au Ghetto Pop Life de Danger Mouse et Jemini, pour la qualité du résultat, même si ces derniers sublimaient les clichés du Ghetto Hip Hop alors que Georgiavania les retourne.
Concrètement, J.J. s’attaque donc au Hip Hop sudiste avec le morceau « Georgiavania » qui se moque allègrement de Souljah Boy, mais y incorpore aussi un peu de New Wave sur des titres
tels que « Loner », « You want some » et ne manque pas de s’aventurer dans le R’nB avec « Prepare For It » ou « Violet Heart Box ».

Le disque alterne morceaux efficaces et immédiats tels que les raps « Blast Off », « Gawn Jet », « you Want Some », le surprenant « The Grussle » et sa ritournelle de violon Irlandais, et avec des morceaux moins directs, de part les styles qu’ils abordent : le New Wave « Loner » les R’nB « Prepare For It », avec son intro presque rédhibitoire pour moi, mais lorgnant du coté du Spiritual, avec des harmonies de chants d’église chantés par des ganstas barytons très surprenants, et le « Violet Heart Box » avec son refrain à la Prince et son instru arythmique.

Malgré les différentes orientations musicales qu’il emprunte, deux éléments clés lui donnent cohérence : le son aquatique et particulier de J.J. et une forte présence d’harmonies chantées tout au long du disque. En effet, les instrus, quoique riches, sont plus simples (« Georgiavania » ) que ce que J.J. a pu produire sur ses autres projets. Elles permettent de laisser place tout d’abord au flow grave, rapide et énervé de Khujo Goodie, pièce maitresse de cet album, ainsi que ceux de J.J.. J.J. affirmant aussi son envie de chanter déjà manifeste sur quelques morceaux de « Craft of The Lost Art » de « Shape Of Broad Mind ». Ensuite, l’espace laissé par les instrus permet à une multitude de pistes vocales et leurs harmoniques de s’exprimer rappellant un peu le travail de TV On The Radio (dont on retrouve justement le chanteur, Tunde Adebimpe sur plusieurs chœurs…). Et c’est grâce à ces harmoniques que les morceaux prennent du relief et gagnent en intérêt (« I Didn’t Mean To… », le final de « Prepare For It »).
On a devant nous un album surprenant s’aventurant dans des styles assez loin de Jneiro Jarel et de Khujo Goodie et donc de leurs auditeurs. On se retrouve donc devant des morceaux qui peuvent rebouter au premier abord, mais l’alternance judicieuse des styles empruntés assure une présence suffisamment récurrente de titres immédiats et de qualité. Le disque se retrouve ainsi à tourner sur la platine et on se laisse embarquer dans des morceaux a priori hostiles et à découvrir des idées subtiles, nous proposant des genres sclérosés sous un nouveau jour.

En écoute sur leur myspace: The Grussle, Gawn Jet, Blast Off et You Want Some?